
Commentaire
Paris, le 28 octobre 2021.
Par Sean Jutahkiti, Head of Asian Credit Research & Kaan Nazli, Senior Economist for Emerging Markets Debt chez Neuberger Berman.
Ignorer la durabilité de la dette émergente n’est, faute d’un meilleur terme, plus soutenable.
Des représentants de près de 200 pays se rendront ce week-end à Glasgow pour la 26e Conférence des Nations unies sur le changement climatique des Etats signataires de l’Accord de Paris (COP26). Il ne fait donc aujourd’hui aucun doute que la durabilité constitue un enjeu véritablement mondial.
Pourtant, l’investissement durable s’arrête trop souvent à la frontière des pays émergents. Alors que les questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) sont désormais un sujet majeur pour les marchés émergents, les différences entre les facteurs de durabilité et les performances ESG restent selon nous encore trop souvent confuses.
Une approche active, engagée et prospective pour des investissements véritablement durables est dès lors essentielle en raison de l’évolution rapide du paysage de la durabilité dans ces régions, notamment en Asie. Mais cette approche peut sembler difficile lorsqu’il s’agit d’obligations sur les marchés émergents, et encore plus lorsqu’elles sont émises par des Etats.
De la nécessité de mobiliser des capitaux
Les données suggèrent que les pays émergents abritent environ 80 % de la population mondiale, contribuent à environ 60 % du PIB mondial et génèrent deux tiers de ses émissions de carbone. En ce qui concerne le seul développement environnemental, HSBC a estimé que la Chine doit investir 200 000 milliards de RMB, soit 200 % de son PIB actuel, pour atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2060. La Bank of America souligne quant à elle que l’Inde devrait investir plus de 400 milliards de dollars dans la réduction des émissions au cours de cette décennie.
La dette souveraine et la dette des entreprises ont ainsi un rôle majeur à jouer dans la mobilisation de ces capitaux et il en va de même pour les obligations vertes, sociales et durables (GSS – « Green, Social and Sustainability bonds »). Selon la Climate Bonds Initiative, les obligations vertes des marchés émergents sont celles qui ont connu la plus forte croissance en 2020 – la même année où la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB – « Asian Infrastructure Investment Bank ») a émis ses premières obligations durables et où la Chine est devenue le plus grand émetteur national d’obligations sociales.
Les investisseurs en dette émergente ont dès lors un rôle important à jouer dans la promotion de la durabilité. Mais cela pose un certain nombre de défis.
Des résultats indésirables produits par les notations ESG
Commençons tout d’abord par les émetteurs souverains.
Étant donné que les Etats élaborent les politiques et réglementent les industries, la durabilité du secteur public d’un pays n’est qu’une facette de leur impact. Un investisseur responsable sur la dette souveraine durable doit de fait avoir une compréhension approfondie du profil commercial et économique d’un pays, ainsi que de l’évolution de son contexte juridique et réglementaire. Sans cela, les notations ESG standard des normes et institutions d’un pays peuvent s’avérer trompeuses.
Nous pensons également que ces notations peuvent conduire à des résultats indésirables. Les pays relativement riches ont tendance à avoir des institutions plus fortes et des inégalités sociales plus faibles, ce qui se traduit par des notations ESG plus élevées. La Banque mondiale a calculé que 90 % de la variation des notes ESG de sept fournisseurs dans 133 pays peut s’expliquer par les différences de revenu national par habitant. Si l’argent suit les notations, les pays les plus riches ont tendance à s’enrichir et les pays les plus pauvres ne reçoivent pas les fonds nécessaires pour atteindre les objectifs de développement durable fixés par les Nations unies (ODD). Cela peut constituer un frein important au progrès.
C’est pourquoi il est important de mettre l’accent sur l’avenir, parallèlement à des considérations de « Best-in-class ». Les exclusions ont également un rôle à jouer : actuellement, 20 émetteurs souverains représentent un quart du marché que nous ne nous attendrions pas à voir figurer dans un portefeuille de dette émergente durable. Mais nous pouvons considérer d’un œil beaucoup plus favorable des pays plus pauvres et peut-être même moins bien notés sur le plan ESG que ceux que nous excluons, s’ils font preuve de solides progrès.
L’engagement joue également un rôle de plus en plus important, même si cela pose des défis particuliers avec les émetteurs souverains. Si les progrès au niveau des pays peuvent être lents et modestes, un engagement ciblé des investisseurs contribue selon nous à de meilleures performances dans des domaines clés tels que les émissions de carbone, la contribution à la transparence fiscale mondiale ou la lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Fait important, cette approche prospective influence également les objectifs de durabilité sur lesquels les investisseurs mettent l’accent. Selon nous, tous les ODD ne sont pas égaux, en particulier dans le monde émergent. Nous pensons que des questions telles que l’adaptation au changement climatique et l’atténuation de ses effets sont importantes, quel que soit l’endroit où vous investissez, mais dans le monde émergent, les objectifs sociaux, et en particulier l’espérance de vie et l’éducation, sont essentiels, car ils créent les fondements indispensables à l’amélioration des autres ODD.
Evolution rapide des attitudes des entreprises et des consommateurs
L’environnement est assez similaire du côté des entreprises émettrices.
En particulier parmi les émetteurs High Yield, qui sont généralement moins préparés et plus exposés aux transitions liées à la durabilité, nous constatons déjà que le marché reconnaît la qualité supérieure des émetteurs ayant un score ESG élevé. Au cours des cinq dernières années, par exemple, le rendement et la volatilité de l’indice JPMorgan ESG Asia Credit High Yield (JESG JACI HY) ont été similaires à ceux de l’indice JACI HY traditionnel. Toutefois, au cours des 12 derniers mois, période la plus difficile pour cette classe d’actifs, le JESG JACI HY a affiché des rendements plus élevés et une volatilité plus faible et cette surperformance devrait encore s’accentuer. Si les régions émergentes telles que l’Asie sont encore à la traîne en matière de durabilité, c’est souvent là que les besoins en investissement sont les plus importants et où les attitudes des gouvernements, des entreprises et des consommateurs évoluent le plus rapidement.
Nous avons déjà mentionné les énormes investissements liés au climat requis rien que par la Chine et l’Inde, par exemple. Nous constatons également une demande croissante d’égalité sociale et, surtout en Asie, une réactivité accrue des gouvernements : l’objectif de « prospérité commune » de la récente réorientation stratégique de la Chine en est un des exemples les plus visibles et marquants.
De plus, et toujours en Asie, les régulateurs affinent leurs exigences en matière de transparence sur la durabilité des entreprises : Hong Kong a pris les devants avec un certain nombre de mesures, mais un autre exemple important est celui du Securities and Exchange Board of India (SEBI), qui a renforcé ses exigences avec l’introduction de ses règles en matière de responsabilité des entreprises et de rapports sur le développement durable (BRSR). Parallèlement à l’apport coordonné de l’initiative Sustainable Stock Exchanges (SSE) des Nations unies, des mesures de ce type pourraient contribuer à mettre en évidence les paramètres de performance en matière de durabilité dans différents pays, secteurs et entreprises, augmentant ainsi la pression concurrentielle en faveur du progrès.
Comme pour les émetteurs souverains, cette dynamique souligne l’importance d’une approche prospective et d’un programme d’engagement substantiel, notamment avec les émetteurs High Yield, afin d’identifier les gagnants et les perdants potentiels de la transition et d’aider les entreprises à s’adapter.
Un momentum important sur les marchés émergents
Prenons quelques exemples afin de détailler ce que nous entendons par une approche d’investissement tournée vers l’avenir.
Parmi les Etats, nous pouvons citer la Côte d’Ivoire. À première vue, ce pays ne semble pas être un leader en matière de durabilité. Il a fallu un conflit armé pour que le perdant des élections présidentielles de 2010 concède sa défaite et la stabilité politique reste encore un défi. De plus, le taux de travail des enfants dans le pays reste très élevé.
Malgré ces difficultés, ce pays fait des progrès remarquables, notamment en ce qui concerne l’amélioration constante de l’espérance de vie (à partir de niveaux déjà relativement élevés) et le nombre d’années de scolarité prévues et réalisées. Selon le Bertelsmann Stiftung et le Sustainable Development Solutions Network (SDSN), parmi les pays africains, seul le Kenya a obtenu une plus grande amélioration de ses scores de développement durable au cours des cinq années précédant 2020.
Parmi les entreprises, prenons l’exemple d’un producteur d’aluminium chinois auprès duquel nous sommes engagés depuis un certain temps. Il s’agit d’un secteur très gourmand en énergie et l’intensité carbone de la société est supérieure à la moyenne du secteur car plus de 90 % de son énergie provient de centrales électriques au charbon.
Nous considérons toutefois que sa direction générale est prévoyante dans ce domaine, notamment en raison des derniers objectifs de réduction des émissions fixés par le gouvernement chinois. L’entreprise a chargé un consultant extérieur de définir sa stratégie de décarbonisation d’ici le début de l’année prochaine. Nous savons déjà qu’elle prévoit de faire passer un tiers de son approvisionnement énergétique du charbon à l’énergie hydraulique d’ici fin 2022. Nous pensons que cette initiative, ainsi que la création d’une coentreprise avec une société de recyclage allemande pour produire de l’aluminium recyclé, lui confèrent une avance considérable sur ses pairs dans une perspective d’avenir.
Pour s’assurer que le capital va là où il est le plus nécessaire pour promouvoir la durabilité dans le monde émergent, nous pensons donc que les émetteurs de dette tels que ceux-ci, qui partent d’une base faible mais font déjà preuve d’une dynamique considérable, ont un rôle important à jouer dans les portefeuilles durables.
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